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  • Photo du rédacteurLucas Laberenne

“L’image est une graine de conscience dans un océan de problèmes”


Peinture d'Arcabes *

Céline 40 ans, appareil photo autour du cou, a accompagné le temps d’une nuit le mouvement des Colleuses à Arles. Entre lutte et espoir, elle décrit un monde où les images ne peuvent se fuir. Interview.


A l’heure où les tempêtes sociales font rage, où les manifestations se multiplient, colles et peintures s’élèvent dans l’obscurité pour alerter la rue de certains bilans. Ce mouvement, lancé en 2017 suite au soulèvement du #Metoo, s’est rapidement diffusé à travers tout le pays. En affichant dans les rues des messages sur diverses thématiques, les dénommées

"Colleuses" souhaitent rendre visible l’invisible. C’est notamment lors d’une de leurs opérations d’affichage, que Céline, femme de 40 ans passionnée de photographie, a décidé de les accompagner pour voir au-delà de ce qu’on raconte, pour vivre une expérience.

Elle témoigne.


Comment vous vous êtes retrouvée appareil au cou, à suivre une nuit d’action ?

Il se trouve que j’ai une amie qui collait du côté d’Arles, où le groupe est très actif. Cet été j’y suis passée et on m’a alors proposé d’accompagner les colleuses le temps d’une nuit. C’est à ce jour mon unique expérience de terrain auprès d’elles.


Pourquoi avoir dit oui ? Qu’est-ce qui vous a donné l’envie de franchir le pas ?

Tout d’abord pas curiosité. Je voulais connaître l’envers du décor de ces affiches noires et blanches. Je voulais capter l’énergie d’un groupe qui se rassemble pour défendre ses idées. Les colleuses sont très discrètes, elles agissent au nom d’un ensemble, alors je me suis dit que c’était important de créer un souvenir personnel de ces femmes. Et puis, c’était peut-être mon rôle au travers de la photo de réaliser ce témoignage. Tout comme ces affiches, ce n’est peut-être pas grand-chose en apparence, mais si ça peut devenir une graine de conscience capable de germer un peu partout c’est gagné !


Pourquoi avoir choisi la photo pour les accompagner ? Quel rôle peut jouer l’image selon vous dans un combat social ?

La photographie est le témoin d’une action. Les colleuses n’ont pas d’étiquette, elles se battent pour de nombreuses causes qui appartiennent à toutes et tous. Mon appareil m'a permis de pouvoir identifier chaque vie, chaque petite main derrière ces messages. L’image est une graine de conscience dans un océan de problèmes, elle peut faire avancer les choses. La photo apporte cet "autre chose". Elle transpire d’émotions, d’énergie et de sentiments. Mon appareil m’a permis de capter des instants beaux et forts, il a été parfait pour vivre cette expérience.

Mon appareil m'a permis de pouvoir identifier chaque vie, chaque petite main derrière ces messages.

Pourquoi interpeller la rue selon vous ? Où se joue l’efficacité de l’affichage dans une lutte de sensibilisation ?

Je pense que l’efficacité de ces phrases déposées sur les murs se joue dans le regard. Lorsqu'on y est confronté, on est obligé de les lire avec le cœur. Qu’on soit choqué où qu’on approuve, on n'y échappe pas. Ça interpelle, c’est comme un spot publicitaire, on a beau regarder ailleurs, ça finit toujours par revenir vers nous. Dans une lutte où on souhaite dénoncer ce qu’on veut souvent taire, c’est plutôt pratique.

Ça interpelle, c’est comme un spot publicitaire, on a beau regarder ailleurs, ça finit toujours par revenir vers nous.

Comment s’est passée votre nuit d’action ? Qu’en retirez-vous ?

On était un groupe de femmes**. Unies. Cette nuit-là, tous les égos étaient de côté, c’était une bataille commune pour un message universel. On a fait un petit parcours en affichant à des endroits visibles. Cette soirée a été pour moi très humaine. C’est bête, mais même en sachant que notre travail serait rapidement arraché, on avait la sensation d’un pas en avant. J’en retire beaucoup d’émotions et d’espoir.


Lors de ces collages, avez-vous observé des réactions dans la rue ?

Oui, on a eu des encouragements discrets, des intrigués, des sourires au passage. On a également eu de l’incompréhension et de la révolte. Une dame est notamment venue vers nous en affirmant que ces affichages étaient inutiles, que de toutes manières, ces femmes

« l’ont bien cherché ». Eh bien même avec une remarque aussi négative, on a réussi à en retirer du positif. Car après quelques minutes de dialogue, cette même personne est repartie en nous souhaitant bonne chance, en affirmant que c’était bien au final ce qu’on faisait. Ça nous à fait tellement de bien sur le coup. Grace à nous, une personne a vu ses opinions évoluer vers de la compréhension.

Une dame est notamment venue vers nous en affirmant que ces affichages étaient inutiles, que de toutes manières, ces femmes « l’ont bien cherché ».
“On ne tue pas par amour” ©Celine.A

Vous pensez en refaire à l’avenir ?

Si cela se présente de nouveau oui, avec plaisir. J’ai beaucoup aimé pouvoir avoir du recul sur ce qui se passe derrière. Le message que j’en retire c’est : toutes ensemble, voilà ce qu’on peut faire. Une action, plus une autre, plus une autre, les yeux ne pourront pas rester fermés éternellement, alors on continue.


Dernières questions, quel est l’avenir de ce mouvement selon vous ? La route est-elle encore longue pour les colleuses avant de pouvoir cesser les affichages ?

Je pense que ça va continuer en effet. Je ne sais pas me projeter avec précision, néanmoins, je veux y voir du positif. Depuis le #Metoo les choses évoluent. Depuis quelques années les consciences tentent de s’élever. De toute manière, notre société a toujours été cyclique, on se bat, on avance et on recommence. L’humanité fait souvent deux pas en avant pour trois en arrières. C’est loin d’être gagné, mais je veux sincèrement y croire.


*Lorsque vous m'avez demandé de choisir une image pour illustrer cette expérience, j'ai rapidement pensé à ce tableau d'Arcabas. Ouvrir les yeux pour faire bouger les consciences, voilà à quoi il me fait penser.


**Ce témoignage comprend toutes les personnes concerné.e.x.s par cette lutte et ce mouvement, sans aucune exclusion.


Pour aller plus loin



Laberenne Lucas


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